Circulation à Ouaga : Quand des enfants risquent leur vie pour sauver celle d’adultes

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Face à l’insécurité routière qui règne dans la capitale burkinabé, des enfants s’érigent en agents de sécurité de la route pour réglementer la circulation.  Du Centre Hospitalier Universitaire de l’Hôpital Charles de Gaulle au carrefour de l’Université Joseph Ki Zerbo, Filinfos lève un coin de voile sur ces adolescents et leurs  pratiques.

Se frayer un chemin en circulation  est de plus en plus un véritable casse-tête à Ouagadougou. La multitude de motos et de voitures crée des embouteillages à n’en point finir sur la majorité  des axes. Au carrefour de la pédiatrie Charles De Gaulle de la capitale du Burkina Faso, sous les quelques rayons du soleil, la folie s’installe. Le concert des klaxons des véhicules, motos, tricycles, le passage régulier des personnes vulnérables en quête de leur quotidien du jour, ou le bêlement de chèvres à l’arrière d’un camion estampillé « ONLY FOOD » rythment le carrefour à cette heure de pointe de fin mai. Au milieu de ce brouhaha, le sifflet à la bouche, vêtu d’un jean « blessé », d’une chemise blanche, et d’une boucle d’oreille à l’oreille gauche, un jeune de 18 ans régule la circulation tout en évitant de justesse les roues des automobilistes. Il s’agit de Anicet Kevin Guiré, élève en classe 4ème, qui depuis trois ans, s’adonne à cette pratique qui consiste à régler la circulation au niveau de la circulaire de la pédiatrie Charles De Gaulles. Serein dans ses propos, Anicet estime que l’âge n’est pas un frein lorsqu’on veut contribuer au développement de son pays en matière de sécurité. « Depuis trois ans que je fais ce boulot, disons que c’est un job de vacances pour moi ,  je m’arrête devant le CHU avec bien d’autres camarades et nous règlementons la circulation, les gens disent que nous sommes des enfants ,mais l’âge ne nous empêche pas de contribuer au développement de notre pays, parce que si une personne a un accident, il met le pays en retard parce quil n’ira pas certainement au travail ce jour » A la question de savoir si ces adolescents entretiennent des relations avec la police et les VADS ( volontaires adjoints de sécurité), Issiaka Ouédraogo, employé de commerce, âgée de 20 ans, nous répond par la négative. Ils reçoivent de ces derniers par contre des encouragements.

« Nous remercions Dieu parce que souvent la police même et les VADS viennent nous encourager et nous donne souvent quelque chose pour boire l’eau. C’est pourquoi nous sommes entendus avec eux pour les heures de travail. Le matin quand, il y’a trop d’embouteillage et ils ne sont pas encore là, nous prenons la garde en attendant leur arrivée. Généralement c’est à partir de 9h qu’ils sont là. Cela nous permet d’avoir un peu de sou pour notre quotidien même si nous ne gagnons environ 3000 CFA par jour pour plus de 10 enfants » explique Issiaka

  « Nous, on ne ressemble pas aux autres enfants, nous sommes recruté par contrat »

De la circulaire de la pédiatrie Charles De Gaulle, nous nous sommes rendus à celle de l’Université Joseph KI Zerbo. A quelques mètres des feux tricolores du rond- point du coq, c’est la même routine. Des enfants stationnés à chaque recoin des feux, cependant vêtus d’un gilet de couleur verte, sur lequel on peut lire AFOV et Brakina, règlementent la circulation. Il y’a trop d’embouteillage, alors l’heure n’est pas à la distraction. Après avoir expliqué l’objet de notre visite « aux enfants VADS », ces derniers restent réticents, surtout après notre demande de nous entretenir avec eux.  Amandine Sandwidi, élève en classe de 5ème, au teint clair, d’une taille moyenne, avec les cheveux un peu crépus, après quelques hésitations accepte de répondre à nos questions à condition que nous ne la photographions pas. Notre accord est marqué sans hésitation. A notre question de savoir quelle est la signification des gilets que ses camarades et elle portaient, Amandine nous traduit d’abord ce qui signifie AFOV (association Faso One Village) avant de nous faire comprendre que c’est une association soutenue par la compagnie Brakina. De cette association, découle des enfants qui se donnent pour objectif de briser la chaine d’accident répétitif dans la capitale burkinabé. Ces enfants travaillent sous contrat avec l’AFOV « nous travaillons sous contrat, l’objectif n’est pas d’avoir beaucoup d’argent, mais éviter au maximum les accidents, parce quil y a des gens même avec les feux tricolores ne respectent pas les codes de la route. Pour moi, nous ne sommes pas comme les autres enfants, nous on travaille sous contrat », nous confie Amandine.

Un « collègue » de Amandine, Souley Kouraogo, 16 ans, adossé au poteau d’un des feux tricolores semblait être préoccupé par la circulation. Pour lui, le travail qu’il rend est avant une question de volonté et de patriotisme. Voir souvent des citoyens perdre la vie par manque d’inattention en circulation le laisse perplexe. « Je ne supporte pas de voir une personne perdre la vie pour cause d’accident, c’est pourquoi je me suis engagé avec l’AFOV. Depuis 6 mois je suis avec eux, je trouve qu’il y a plus d’embouteillage. On ne gagne pas beaucoup d’argent. Souvent les riverains nous donnent un peu pour l’eau. Le seul problème c’est que certains nous considèrent comme des mendiants et ne nous respectent surtout pas quand on ne porte pas nos gilets » a déclaré Souley.

« Notre pays va de mal en pis »

Si pour les enfants, règlementer la circulation, c’est contribuer au développement du pays, ce n’est pas le cas chez certains usagers. Hamidou Ouédraogo (nom d’emprunt), conseiller pédagogique, lui, ne cache pas sa colère. Assis confortablement dans son véhicule, d’une marque Highlander, au teint noir, la main droite au volant, Hamidou trouve qu’il est inadmissible de voir des enfants risquer leur vie à la recherche d’une pitance. « Notre pays va de mal en pis, c’est une désolation de voir des ados réguler la circulation. Ces enfants mettent leur vie en péril puisqu’ils doivent toujours éviter de justesse les engins. Voyez vous-même. Leur place n’est pas ici, mais à l’école ».

Adèle Soulama, commerçante, en provenance de Zaabre daaga pour Kaatre Yaare, habillée d’un Tee- shirt bleu, pagne bien nouée au rein, teint clair, avec son sac en bandoulière sur sa  moto flambant neuve de marque Yamaha Force X, salue l’initiative des enfants et les encourage : « En tant que mère, je ne peux que saluer l’initiative de ces jeunes. Cela leur permet d’éviter le vol ou de mendier parce qu’ils gagnent un peu de sous avec les riverains ».

Du côté des VADS, on ne parlera pas d’entente avec les enfants en ce qui concerne la réglementation de la circulation. En effet pour eux, ils respectent l’heure d’arrivée pour le travail. Ainsi, à les entendre les enfants profitent donc des heures d’absences ou de descente des VADS pour se faire un gain.

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