Tarissement du barrage de Koubri : le désespoir des exploitants

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Créé en 1950, le barrage de Koubri encore appelé barrage de Nagbagré (localité située dans la province du Kadiogo, à une vingtaine de km du côté Sud de Ouagadougou)  a contribué au développement des activités socio-économiques de la commune. C’est l’une des principales pourvoyeuses de légumes de la ville de Ouagadougou et réputée être une zone de vente par excellence de poisson. De nos jours, le barrage subit un tarissement précoce laissant des milliers d’agriculteurs dans le désarroi, des pêcheurs sans emplois et des populations dans l’émoi. Une équipe de la rédaction de filinfos.net a fait le constat en début avril 2021.

Assis à l’ombre d’un manguier, sur la bordure d’un caniveau, Edouard de Poedego, la cinquantaine remplie  observe une trêve avec sa fille. Vêtu de sa  tenue de combat, le jardinier profite de l’air frais que procure le feuillage des manguiers. Dans la plaine, l’on se croirait dans les pays côtiers, où le soleil voit adoucie  la teneur de ses rayons cinglants.  Le doux parfum des mangues qui s’entremêle, à celui des légumes donne une autre coloration aux  lieux. En tous les cas, la nature semble tendre sur ces lieux mais tout n’est pas rose pour les exploitants de ses plans d’eau. Les ronflements des motopompes lui ôtent sa romance pour lui conférer l’allure d’un garage de réparation auto moto. Le sol est asséché sauf sous les pieds de quelques espèces. Les canaux d’irrigation construits en béton sont propres mais sans la moindre gouttelette d’eau. Les plantes aux feuillages jaunes et aux pieds déshydratés laissent paraitre les signes d’une sécheresse.

Le champ de maïs d’Édouard de Poedego

Point besoin d’être spécialiste pour  savoir que le champ d’Edouard est en souffrance. Le maïs en phase de floraison a perdu sa couleur verte, les racines des semis excentrées à l’air libre  témoignent de la faiblesse des tiges. Face à cette situation pas reluisante, le propriétaire ne désarme pas. Déterminé, le jardinier  mise de toutes ses forces pour faire tomber ne serait-ce que quelques gouttelettes d’eau sous ses plantes. «Voyez-vous-même, tout est sec, plus d’eau dans les cannnaux d’irrigation les plantes s’assèchent de jours en jours. Nous sommes obligés de nous rabattre à un point d’eau qui est à des kilomètres de mon champ. Et ce, parce que l’eau du barrage n’est plus exploitable. Ce n’est que de la boue ». Et d’ajouter qu’il se voit obliger d’utiliser une motopompe pour irriguer son champ. Chose qui engendre des couts exorbitants, a-t-il dit.

Le canal principal de l’aménagement PK25

Malgré sa persévérance pour  sauver ses plantes, le pessimisme hante la tête de l’agriculteur. Il affirme que l’eau qu’il draine dans son champ est boueuse. « Mais, à l’impossible, nul n’est tenu », argue-t-il. Les yeux levés vers le ciel Edouard caresse le doute que ses semis bouclent leur cycle. « Ce serait un miracle que ces semis atteignent leur terme, puisque le point d’eau que nous utilisons est quasiment tari, et il y a assez d’exploitants », s’est-il lamenté. A l’entendre, ce n’est plus une question de bénéfice qu’il recherche dans son jardin, mais juste le prix des intrants agricoles. A la question de savoir, si l’assèchement du barrage n’était pas prévisible, il affirme que le barrage depuis cinq ans tarit mais, cette année, il s’est très vite asséché. Sa prière est que le barrage soit réhabilité au bonheur de toute la population. « S’il y a suffisamment d’eau, personne ne va demander à manger à l’autre » a-t-il conclut.

Un barrage sans eaux

C’est un barrage vidé de ses eaux. Sur le lit du barrage,  des mottes de terres rivalisent avec la boue. Des ordures sont entreposées ça et là. Ce qui s’apparente à un barrage, c’est l’infime lame d’eau boueuse se trouvant au côté Est, non loin de la route bitumée. Aussi, la présence des pirogues déposées à sec qui s’usent. Un phénomène étrange pour la population riveraine. Une femme venue chercher son enfant en quête d’alevins dans la boue, confie que depuis qu’elle est née c’est sa toute première fois de voir le barrage central de Koubri complètement à sec. « C’est vrai que ces cinq dernières années, les eaux du barrage tarissaient, mais pas jusqu’à ce point », a-t-elle fulminé. 

« Nous sommes en congés et nous sommes venus chercher du poisson » , Séni, élève en classe de 6e.

Ce barrage, auparavant un gagne-pain  pour les pêcheurs s’est réduit en un passe-temps et une source de revenues pour les enfants. En effet, les enfants riverains du barrage viennent rechercher les alevins dans le barrage. Séni, élève en classe de 6e explique la procédure. «  On rentre dans l’eau, puis, on observe, s’il y a un moindre mouvement de la boue, on saisit la partie qui fait les mouvements. S’il s’avère que c’est un poisson, on le projette immédiatement dehors. Et celui qui est chargé du ramassage, le prend et le range dans un sac » a expliqué le jeune garçon. Couvert de boue des pieds au tronc. Ses enfants disent se faire quelques sous avec les alevins qu’ils pêchent à mains nues. « A la fin de la pêche, si on trouve un acheteur au comptoir de vente de poisson, on vend dans le cas contraire, ces alevins vont servir de grillade ».

Des agriculteurs qui « frôlent la prison »

Du côté Ouest de la digue, près de la pépinière aménagée de Koubri, Yabyouré et deux jeunes garçons assis sur des troncs d’arbres font la causette. Ils parlent certainement de la cartographe causée par le tarissement du barrage. Dans leurs champs, les pommes de choux en état de flétrissement témoignent de la carence en eau. Les pieds couverts d’une couleur blanchâtre font  croire qu’on a peint les pieds plans. Sur le pourquoi de cette couleur blanchâtre des plants, Yabyouré répond que cela est dû aux dernières eaux qui ont été utilisées pour l’arrosage qui étaient trop boueuse. A la question de savoir comment vont ses travaux champêtres, il affirme : « tous ce que vous voyez-là, ce sont des animaux qui vont brouter, parce que nous sommes à trois semaines de la récolte, mais avant cela on ne peut pas récolter pourtant, il n’y a plus d’eau».  Une affirmation déjà vérifiée, puisque qu’il y avait un bœuf attaché dans les champs qui broutait les pommes de choux. Il affirme que cette situation va lui causer plus de 500 mille FCFA de pertes.

La parcelle de choux de Yabyouré en manque d’eau dû au tarrissement du barrage

Yabyouré affirme que dans cette affaire, certains agriculteurs frôlent la prison. «  Nous finançons nos activités à base de prêts. Et voilà, que nous n’aurons même pas la moitié de notre investissement, comment résoudre cette question avec la caisse ? » s’est-il interrogé. La main sous le menton, il ajoute que même si la caisse prolonge la date de remboursement, c’est sûr qu’ils n’accorderont plus de crédits pour d’autres campagnes, sans que la première dette ne soit épongée.  « Comment pourrons-nous entamer les prochaines campagnes ? »,  s’angoisse le jeune homme.

Une vue de la surface du barrage

« Le tarissement du barrage est véritablement un grand un grand, grand, grand problème »,  affirme Congo Idrissa Emmanuel, responsable de la gestion du barrage tout en haussant la tête. Pour lui, l’assèchement de ce barrage va augmenter le nombre de chômeurs. Il affirme que nombreux sont les maraichers qui ont arrêté de produire. Il s’inquiète également de l’avenir de leurs progénitures qui dit-il, « si une solution n’est pas trouvée nos enfants n’auront pas accès à l’eau et seront contraints aux chômages ».

Les responsables de la coopérative des jardiniers demandent à ce que le barrage soit curé.

Rencontré dans son champ, le secrétaire de la coopérative Benjamin Nikièma, confirme les propos de son collègue. «  Il y a des milliers de personnes qui gagnent leur vie à travers les eaux de ce barrage. Maintenant, qu’il n’y plus d’eau, il est évident qu’il y aura des familles qui connaîtront des disettes», s’est-il lamenté.    

La vanne du barrage de Koubri en panne

Assis dans son bureau, le maire adjoint de la commune rurale de Koubri, Jérôme Zangré, parle difficilement de la question de l’assèchement des barrages à Koubri. « C’est la principale angoisse des  populations » déclare-t-il. Particulièrement pour le barrage de Koubri, il affirme qu’il est d’une portée capitale. Il fait remarquer que ses eaux sont utilisées pour la culture de riz, des légumineuses, la production des fruits, la pêche, l’écologie. «Il y a les villageois de Tibin, de Nambé, les forestiers de la pépinière de Koubri, les jardiniers de PK25, l’école biblique qui exploitent l’eau du barrage», a affirmé M. Zangré. « Avec ce tarissement nous sommes aux abois », s’est-il apitoyé, les mains sur son bureau. 

Des causes du tarissement

Pour le chef de zone l’agriculture de Koubri, Aoué Boubacar Ada, Koubri regorge une trentaine de retenues d’eau. Mais regrette-t-il que la quasi-totalité des barrages connaissent un tarissement précoce. « En début d’année, il y a beaucoup de barrages qui tarissent avant que les cultures ne bouclent leur cycle » a-t-il affirmé.  

A l’en croire, plusieurs facteurs expliquent le tarissement précoce des barrages. Spécifiquement pour ce qui est du barrage de Koubri, il a laissé entendre que le barrage est surexploité. «  Le nombre de producteurs augmente d’année en année, ce qui fait que le besoin en eau a augmenté et la quantité d’eau ne suffit pas à tout le monde ». Il évoque l’ensablement causé par la production sur les berges.  Il explique que les producteurs suivent le mouvement de l’eau. Ce qui veut dire que plus l’eau diminue dans le barrage, plus les producteurs s’approchent du barrage. Et lorsque les maraîchers suivent le mouvement de l’eau et produisent dans les berges, le barrage s’ensable et sa capacité diminue, cela engendre donc son tarrissement précoce, a-t-il déclaré. Il note aussi, le gaspillage de l’eau, dû à la méconnaissance des bonnes méthodes d’irrigation. Monsieur Ada affirme que certains producteurs irriguent avec une quantité supérieure aux besoins des plantes.

A ces causes, le maire adjoint de la commune de Koubri ajoute que la vanne (mécanisme qui permet de faire passer ou de stopper l’eau du barrage) qui est fréquemment en panne en est une. 

Un appel au curage du barrage

« Il faut impérativement curer le barrage » déclare le maire adjoint de Koubri, Jérôme Zangré, en rabattant ses mains. « C’est un lourd budget, mais il le faut », rajoute-t-il. Le premier adjoint au maire confie que sa commune est bénéficiaire du projet PARIIS qui veut réhabiliter 17 hectares (ha) de la pleine de PK25 et aménager un bas-fond de 40 ha à Nambé. Mais, il affirme que cela bien qu’important ne saurait être très bénéfique si le barrage n’est pas curé.

 » Si on arrive à curer le barrage, tous les moyens seront mis en œuvres pour son entretien », premier adjoint au maire Jérôme Zangré.

Jérôme Zangré rappelle que si des espaces sont aménagés et qu’il n’y a pas d’eau, il est difficile de produire. A la question de savoir s’il ne serait pas mieux de créer un autre barrage au lieu de le curer, il se rétracte puis affirme que le barrage de Koubri joue un rôle important. A l’entendre, les eaux de ruissellements de la ville de Ouagadougou transitent par le barrage de Koubri pour rejoindre  les grandes retenues d’eaux comme Bagré et autres. Par conséquent, il affirme que si ledit barrage est défectueux, cela pourrait engendrer une désorganisation dans l’écoulement des eaux.

Asmane Gouba, technicien supérieur d’agriculture spécialisé dans la question de l’irrigation habite Koubri depuis une vingtaine d’années. Le technicien supérieur d’agriculture admis à la retraite, suggère que les producteurs soient mieux conscientisés, organisés et outillés sur la gestion de l’eau. Il a laissé entendre que des études de la FAO attestent que les quantités d’eaux envoyées sur les parcelles  sont cinq fois plus que ce dont les plantes ont besoin. Il précise que pour limiter ce gaspillage, s’orienter vers des technologies qui économisent l’eau d’irrigation et les faire maîtriser par les producteurs. Il souhaite également qu’une bande de protection soit érigée autour du barrage. Le maire adjoint de Koubri quant à lui, lance un appel à toute la population à une exploitation rationnelle de l’eau. A ce titre, il pointe l’avènement du mécanisme qui fait fonctionner la motopompe avec du gaz. « Avec ce système qui est moins chers, les jardiniers sont tentés d’arroser en excès leurs jardins. Ce qui va causer plus tard une carence en eau » a marmonné Monsieur Zangré. Aussi faudrait-il selon lui, que les populations acceptent de participer à l’entretien du barrage par les cotisations et acceptent de reculer. Pour finir, il appelle toutes les bonnes volontés à bien vouloir aider à curer le barrage.

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