Insécurité alimentaire au Burkina Faso : la culture du riz TS2 révolutionne l’agriculture à Dano
Dans les pays du Sahel comme le Burkina Faso, sujet aux phénomènes météorologiques extrêmes, le changement climatique peut porter un coup dur à la sécurité alimentaire. La sécheresse et les pertes après récolte ont déjà plongé près de 3,4 millions de personnes dans une situation d’insécurité alimentaire, selon le Cadre harmonisé de juin-septembre 2023. Mais à Dano dans la province de l’Ioba, située à près de 300 km de Ouagadougou, se niche le barrage Moutouri où une petite révolution agricole est en marche depuis 2006 pour pallier le phénomène. Il s’agit de la culture de la variété de riz TS2. Nous avons mené l’enquête.
En ce mois d’août 2023, le son harmonieux des dabas dans le sol, accompagné par les sourires et chants des cultivateurs résonne sur le vaste site rizicole qui s’étend à perte de vue. Quelques oiseaux, non loin de là, laissent entendre leurs battements d’ailes dans une cohue généralisée. Ce terrain de 33 hectares est exploité par un groupe d’agriculteurs. Ce matin-là, le soleil brûlant n’empêche pas Emile Dabiré, 34 ans et cultivateur, de mettre en terre les tiges de riz. Avec sa daba en main et le dos courbé, il travaille sur la parcelle aménagée par la DRIVE (Drive industrie verte).
Cela fait plusieurs années qu’il tire sa subsistance de la terre. Auparavant, le trentenaire s’adonnait au maraîchage à travers la culture de tomate et de chou. Au fil des années, la prévalence des sécheresses dans la région a presque réduit de moitié sa récolte à chaque saison successive, ne lui laissant que de quoi se nourrir et nourrir ses trois enfants. En effet, l’infertilité des sols, combinée au changement climatique, affectait la qualité et la quantité de ses produits. A cela s’ajoutent les insectes ravageurs et les chenilles légionnaires qui dévoraient ses cultures.
En 2000, la DRIVE, une société agricole mise en place par la Fondation Dreyer, s’est engagée à accompagner les agriculteurs, dont Emile, dans la production du riz de variété TS2. Pour ce faire, elle a aménagé des bas-fonds au profit des producteurs, leur fournissant des semences, de l’engrais et elle les forme aux bonnes pratiques agricoles. En échange, une partie de leur récolte, équivalente au prix du paddy, est reversée à la société.
« Depuis plusieurs années, la DRIVE nous donne du riz Paddy et nous montre comment le cultiver. Grâce à cette activité, j’arrive à gagner plus de revenus pour répondre aux besoins de ma famille », explique-t-il, le visage suant à grosses gouttes.
Aujourd’hui, la métamorphose d’Emile est visible. D’agriculteur ordinaire qui cultive pour nourrir sa famille, il est devenu, ce qui peut être considéré comme un agriculteur de grande envergure. Lui qui comptait ses récoltes en nombre de sacs, se retrouve avec une dizaine de tonnes de riz par an.
« J’ai commencé à travailler avec la DRIVE depuis 2002 aux côtés de mon papa. Grâce à cet appui, j’ai pu m’acheter une moto et scolariser mes trois enfants. Mes frères qui partaient chercher du travail ailleurs ne partent plus. Il y a assez de travail pour occuper tout le monde et c’est la famille qui gagne », se réjouit Emile Dabiré d’un air détendu.
A quelques pas d’Émile se tient dame Somé, une agricultrice presque de la cinquantaine. Les souvenirs de lutte, de nombreuses années de labeur sans impact significatif, ont suffi à la pousser à faire un pas audacieux : le riz « DRIVE ». Pieds nus, sa daba à portée de main, elle travaille sans sourciller, pour scolariser ses trois enfants.
La première année du projet, dame Somé a suivi une formation sur les meilleures pratiques modernes. Elle a appris une nouvelle méthode d’application des engrais à travers l’utilisation de la fumure organique. La fumure organique est une pratique agricole qui consiste à apporter des éléments nutritifs au sol en utilisant des matières organiques d’origine animale, végétale ou des résidus organiques, à savoir le fumier animal, les résidus de culture, les composts et les débris de plantes. « On a pris part à des formations. Des formateurs sont venus nous expliquer comment planter les semences, les écarts à respecter et la quantité d’eau à utiliser », explique-t-elle.
À l’époque, un sac de 50 kg d’engrais sur le marché coûtait environ 16 000 francs CFA. Avec l’inflation, aujourd’hui, il faut débourser près de 30 000 francs CFA pour le même sac. En fournissant des engrais aux producteurs, la DRIVE permet aux agriculteurs locaux d’économiser de l’argent et de renforcer la résistance des cultures face aux insectes ravageurs. « On dépensait beaucoup d’argent pour payer l’engrais. Parfois, on se retrouvait sans grand-chose après la récolte », déplore Franck Dabiré, un des agriculteurs bénéficiaires du projet. Mais avec l’arrivée de la société Drive, ce ne sont que de « mauvais souvenirs », se réjouit-il en soupirant.
TS2, une variété de riz à croissance rapide et résiliente
La TS2, connue sous le nom FKR 64, est la variété de riz d’origine taïwanaise. Cette céréale, introduite au Burkina Faso depuis 2006 par la Coopération chinoise, est exploitée par la « DRIVE ». Selon Dr Edgar Traoré, Directeur général de l’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et des innovations (ANVAR), cette variété a été introduite afin d’accroître le rendement des producteurs et de lutter contre les maladies liées aux plantes. D’une longueur 8,59 mm et d’une largeur de 2,48 mm, cette variété se montre plus résistante face aux maladies telles que la panachure jaune, connu sous le nom du « sida du riz » et la pyriculariose du riz, provoquées par un champignon. En plus de cette résistance, la source de la gêne du TS2 est de type pluvial, ce qui réduit sa consommation en eau. D’après les explications d’Edgar Traoré, cette variété peut s’adapter à tout type de sol si les conditions d’entretien sont respectées. Elle se produit pendant la saison sèche en irrigation, mais peut se montrer vulnérable face à la pyriculariose.
Pour Laurent Sédogo, gérant de la Drive industrie verte, le choix de cette variété est judicieux. « Nous l’avons adopté, car c’est l’une des variétés qui produit le plus et aussi celle dont les propriétés organoleptiques conviennent au mieux aux consommateurs », précise-t-il. Il s’agit, poursuit-il, d’une variété qui s’adapte à la région du Sud-Ouest qui a bonne pluviométrie.
Au-delà de cet aspect, la TS2 offre des rendements élevés en termes de productivité et des propriétés organoleptiques appréciées par les consommateurs, notamment les vitamines B1 et B2. Sa texture leur permet de le préparer facilement, ce qui lui donne un goût unique après cuisson.
D’après Abdoulaye Ouédraogo, expert agronome de la DRIVE, la TS2 a un cycle court de 120 jours avec un potentiel de rendement de six à sept tonnes à l’hectare. Cette rapidité de croissance permet aux agriculteurs de cultiver deux fois par an, même en irrigation. Pour l’introduction de cette variété au Burkina Faso, les experts de l’INERA ont mené trois années de recherches et de sélections de variétés. Cette variété présente ainsi les caractéristiques d’une production plus rapide et d’un rendement plus élevé et devrait permettre au pays d’assurer l’autosuffisance en riz. Contrairement à certaines variétés, la TS2 s’adapte au changement climatique, notamment en termes de pluviométrie tardive. Cette même variété de riz est produite à Bagré, une commune rurale de la province du Boulgou, située dans la région du Centre-Est au Burkina Faso. Il s’agit de « Bagrépôle », une sociétécréée en 2012 par le gouvernement burkinabè en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Elle a un rendement estimé à 30 000 tonnes de riz par an.
Accompagnement
Pour garantir le succès des activités agricoles, la DRIVE a instauré un « champ école des producteurs », où chaque séance est consacrée à un thème agricole essentiel. C’est un programme de formation basé sur la pratique, instauré au profit des producteurs. Au cours des séances, divers thèmes agricoles sont abordés notamment l’utilisation de la fumée organique sur dans les champs, le type d’engrais à utiliser en fonction des cultures et les semences qui résistent plus à la sècheresse.
« Ici, on produit la TS2. Par exemple, si on veut montrer la différence entre la TS2 et une autre semence qu’on appelle la FKR19, on va trouver un champ qu’on va diviser en deux de sorte à avoir les mêmes surfaces. On va semer à la même date et on va observer l’évolution des cultures », indique le responsable du Département organisation paysanne, Aïbré Sawadogo. Deux semaines après, un rendez-vous est pris avec les formateurs. Cette étape consiste à faire des remarques sur l’évolution des différentes semences, mais cette fois-ci la parole est aux producteurs.
« Cette étape va leur permettre de dire par exemple quel est le type de semence qui évolue mieux que l’autre, est-ce le bon moment pour mettre de l’engrais », poursuit-il. Cette technique leur permet de s’investir dans l’activité, d’acquérir de bonnes pratiques agricoles afin d’optimiser la quantité de production du riz afin de couvrir la région et d’autres régions.
« La DRIVE a toujours veillé aux consignes production. Pour cela, un technicien s’entretient souvent avec nous sur divers sujets dont les bonnes conduites de semis, le respect des écarts et le respect du calendrier saisonnier. Il y a des techniques que je ne connaissais pas, mais grâce à elle, je peux dire qu’on les maîtrise maintenant », confie Eugène Hien, agriculteur de 29 ans. Tout comme Emile Dabiré, il collabore avec la Drive depuis près d’une vingtaine d’années. Une collaboration qu’il ne regrette pas, car sa capacité de production a augmenté, soutient-il.
Une chaîne d’approvisionnement régionale
La Fondation dispose en son sein d’une unité industrielle d’étuvage de riz, qui fonctionne grâce à l’énergie solaire. Construite sur une superficie de 550,68 m², cette unité a une capacité de production de près de trois tonnes l’heure (3t/h) et une production annuelle estimée à 5 000 tonnes. Située à l’entrée de la Fondation Dreyer, l’unité de production du riz est un bâtiment de forme rectangulaire. Elle est reliée à une centrale solaire et comprend des zones de stockage et d’étuvage du riz.
« Lorsque nous utilisons la vapeur, elle est acheminée dans les marmites par les tuyaux principaux. Quand le manomètre indique deux bars, on ouvre les vannes pour permettre le passage de la vapeur, mais en ce moment, on met l’eau dans les marmites. Les marmites sont isolées, il y a de l’espace entre les marmites et le fond qui permet de retenir la vapeur », explique le chef d’usine François Somé. Une fois le processus terminé, le riz est mis dans les passoires pour égoutter l’eau et on procède à l’étuvage. « 5 min après, on retire le riz et on sèche au soleil pendant 10 à 15 mn avant de passer au décorticage », ajoute-t-il.
Une fois l’étuvage terminée, la DRIVE procède à sa distribution. « Au niveau de la distribution, nous avons deux niveaux de distribution, notamment à travers les cantines scolaires, que nous desservons avec la Fondation DREYER. Deuxièmement, nous desservons le marché local, notamment des clients dont les demandes nous parviennent soit de façon directe par téléphone, soit par des contrats », explique Constant Somda. Ces dernières années, la demande de riz a connu une hausse significative dans la région ainsi que dans la région du centre et dans les Hauts-Bassins à tel point que la DRIVE se retrouve dans l’incapacité de satisfaire toutes les demandes.
Depuis plusieurs années, Philippe Sawadogo commercialise le riz drive Dano. Bien que les consommateurs se soient montrés sceptiques au début, il soutient cependant que cette variété de riz est très prisée. « C’est une bonne variété de riz qui est facile à préparer, donc les consommateurs l’apprécient. Je vends le sac de 25 kg à 13 500 francs CFA, mais je prends avec la DRIVE à 11 000 francs le sac », explique-t-il. Depuis qu’il est revendeur de ce riz, aucun client ne s’est plaint de la qualité. Mais il déplore « une indisponibilité du riz depuis près de deux ans ». Par ailleurs, d’autres distributeurs ont confié n’avoir plus la possibilité de s’approvisionner en riz de Dano.
Amina Poda, ménagère, ne tarit pas d’éloge face à la qualité du riz, bien qu’elle ait rencontré des difficultés lors de sa première utilisation du riz. « La première fois que j’ai préparé cette variété de riz, j’ai mis beaucoup d’eau et le riz était très pâteux », se remémore-t-elle en riant. Très vite, elle a compris que nul besoin d’utiliser une grande quantité d’eau pour cuire le riz Drive. « Avec la pratique, j’ai appris à bien préparer le riz. Ce qui est bien, c’est que ma famille l’apprécie aussi », se réjouit-elle.
Défis majeurs
Malgré tout, la DRIVE fait face à de nombreux défis, notamment le coût élevé de l’engrais, le besoin en énergie pour alimenter les machines. En effet, la période hivernale, allant de juillet à septembre, affecte la production du riz. Durant au moins trois mois, l’usine rencontre des difficultés à fonctionner. « Nos machines fonctionnent grâce à l’énergie solaire, cette période est très nuageuse, car il n’y a pas de soleil. Nous sommes obligés de suspendre la production », regrette Laurent Sédogo, gérant de la Drive.
Par ailleurs, il déplore le non-respect du contrat par certains producteurs qui cèdent leur production à d’autres entreprises, au détriment de la société. Toutes ces contraintes réduisent la disponibilité du riz. En outre, la baisse considérable affecte la culture de ce riz, car beaucoup de jeunes préfèrent s’adonner à l’activité minière qu’ils considèrent plus rentable.
Malgré l’adaptabilité de la TS2, sa culture se limite aux bas-fonds. C’est pourquoi, dans certaines régions comme le plateau central, les producteurs préfèrent utiliser d’autres variétés comme l’Orylux, une variété de riz local mise en place pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. Le choix de cette variété entre dans la dynamique du « consommons local », prôné par le gouvernement burkinabè. Elle a un bon rendement et une résistance au changement climatique.
Avec l’arrivée de nouvelles variétés de riz « made in » Burkina Faso, la TS2 est menacée de disparition sur le marché national. Développées depuis 2010 par le Centre de recherches environnementales agricoles et de formation de Kamboinsin (CREAF-K) de l’INERA, la KBR2 (Massamalo), la KBR4 (Nong-saamè), la KBR6 (Bitonkini) et la KBR8 (Mouifiida) ont été conçues et expérimentées par Dr Edgar Traoré, généticien dans ce centre. « Contrairement à la TS2, la KamBoinsinRiz résiste aux poches de sécheresse et aux maladies du riz », explique-t-il. Selon lui, la KBR est une variante améliorée de la TS2.
Enquête réalisée par Carine Pierrette ZONGO avec le soutien de la CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet « Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso.
Carine Pierrette Zongo
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