Études coraniques et quête de subsistance : le quotidien des enfants en situation de mendicité au Burkina Faso

Image d'un talibé/@CPZ

Partager sur:

Au Burkina Faso, la mendicité a pris de l’ampleur au point que le nombre de mendiants a augmenté. De nombreux enfants venus d’autres localités arpentent les rues de Ouagadougou pour leur pitance quotidienne. Selon la ministre chargée de l’Action humanitaire, Nandy Somé/Diallo, en février 2023, 1 342 personnes en situation de mendicité ont été dénombrées dans la ville de Ouagadougou. Au cœur du quartier Tanghin, la journée commence tôt pour Amado, un jeune talibé de 10 ans venu de Dori. Arrivé à Ouagadougou en 2021 pour apprendre à lire le Coran auprès de son maître,il nous dévoile son quotidien.

Alors que le soleil est encore au nazir,  Amado Dianda retrouve son ami au coin habituel, un feu tricolore à Tanghin, quartier situé au Nord-est de la ville de Ouagadougou au Burkina Faso. Ce jour, comme tous les jours d’ailleurs, il emprunte le « taxi-moto » ( ndlr: tricycle ) pour se rapprocher de sa destination, le marché de Arb-yaar de Tanghin (marché du mercredi), où il accomplira sa mission du jour.

Il est encore 6h00. Le froid règne en grand maître mais les deux gamins doivent remplir leur devoir quotidien. Celui de tendre une boîte de pâte de tomate vide qui sert de récipient pour quémander.

Chemise blanche sur un pantalon vert clair, le petit talibé a la peau sèche et blanche et les lèvres asséchées par la fraîcheur. Avec ce look, il doit arborer les rues de la ville. Les feux tricolores sont les premiers arrêts soit pour quémander soit pour se ressourcer. « C’est à cette heure qu’on peut trouver du monde au niveau des feux tricolores et espérer qu’on nous donne de l’argent. Après ça, il n’y a presque plus personne, donc on change d’endroit », confie Amado. Avec son ami, ils tendent leurs boîtes aux usagers à moto ou en voiture qui marquent un arrêt au niveau des feux. Certaines personnes laissent glisser dans leurs boîtes des pièces de monnaie. D’autres par contre feignent de ne pas remarquer leur présence.

Après environ 3 heures de quête, les deux amis se mettent en route : direction le marché de arb- yaar (marché du mercredi) de Tanghin pour accomplir la mission du jour. « Nous n’allons pas toujours au même endroit, parfois on se rend en centre-ville ou vers le grand marché », explique-t-il. A pas caméléon, ils arrivent au marché lorsque le soleil est au zénith. Si certains s’empressent de payer à manger, Amado fait une dernière tentative auprès des commerçants du marché pour payer à manger. Une tentative couronnée de succès puisqu’une bonne volonté lui offrira une pièce de 100F. Aujourd’hui, un plat de riz de 100 F fera l’affaire du jeune talibé. « A midi on paye à manger. Parfois on quémande dans les cours pour manger », dit-il avant de poursuivre : « certaines personnes sont généreuses, d’autres nous chassent ».

Après le repas, une pause s’impose, et Amado profite de ce temps pour faire la prière. « Habituellement quand on finit de manger, on se repose un moment en attendant l’heure de la prière ». Aujourd’hui encore, cette tradition est respectée. Après environ 15 minutes de prière, l’heure est au repos. Pour ce faire, ils s’installent sous un hangar au sein du marché. Les discussions en langue fulfuldé avec d’autres talibés laissaient échapper des éclats de rires. Après ce moment de détente, reprend sa quête auprès des commerçants. Si certains se montrent méfiants à son égard, d’autres par contre font parler leur cœur en lui offrant des pièces de 25F, 50F et même de 100F. « Les gens sont plus généreux les vendredis. On peut au moins avoir 3000F à la fin de la journée. On doit ramener au minimum 500F à la maison », affirme-t-il avec un air pensif. Mais aujourd’hui, il a récolté la somme de 1225. « A la fin de la journée, on fait les comptes. Si on gagne beaucoup d’argent on peut enlever et payer des choses en chemin », poursuit-il.

Aux environs de 18 heures, les rayons du soleil s’effritent. Il est l’heure pour Amado de rentrer chez lui. Rendez-vous est pris le lendemain pour une nouvelle destination.  

Un amour pour le Coran

C’est en 2021 que Amado arrive à Ouagadougou. Venu de Dori, il dit s’être rendu dans la capitale pour apprendre à lire le Coran auprès de son maître avec qui, il loge à Sakoula, quartier périphérique de la ville. Là, il cohabite avec 17 autres personnes, venus étudier le Coran. « On nous apprend à lire le Coran, on apprend beaucoup de choses ; j’aime lire le Coran », dit-il en laissant paraître un sourire. « Mendier fait partie de notre apprentissage. On transmet des bénédictions », a-t-il laissé entendre. Depuis deux ans, le jeune enfant partage pratiquement le même itinéraire tous les jours. Au début, il se promenait avec d’autres enfants de Sakoula pour être sûr de retrouver le chemin de sa maison. « Au début c’était difficile, j’avais peur de m’égarer dans la ville. Ouaga est trop grand », martèle-t-il. Mais avec l’habitude, Amado a appris à maîtriser certains quartiers de la ville. « Le maître est comme un père, il nous traite bien. Il ne nous a jamais frappés », rétorque-t-il à propos des rumeurs sur la « maltraitance » dans les écoles coraniques.  

Fatoumata Nayété, coordonnatrice de l’Association Fémina BF

« Ces enfants sont livrés à eux-mêmes surtout dans ce contexte d’insécurité », Fatoumata Nayété

La coordonnatrice de l’Association Fémina BF, Fatoumata Nayété se dit préoccupée face à la vulnérabilité des enfants en situation de rue. « Avec la situation du pays, ces enfants sont livrés à eux-mêmes ; ils doivent travailler ou mendier pour survivre. D’autres peuvent s’adonner au banditisme », déplore-t-elle. Egalement, certains d’entre eux, dépourvus d’endroit où dormir, sont contraints de passer leurs nuits aux abords des routes. Couverts avec de simples morceaux de pagnes, ils sont exposés à la rigueur de la fraîcheur. « C’est vraiment triste », soupire Fatoumata Nayété. Pour elle, certains de ces enfants sont orphelins, ils ont perdu leurs parents à cause des conflits armés. En fuyant donc l’insécurité, ils se retrouvent à Ouagadougou.

Face à cette réalité, l’Association Fémina BF entend militer pour la sécurité de ces enfants. Pour ce faire, la coordonnatrice recommande à l’État de procéder à un recensement des enfants vulnérables et de les placer dans des familles d’accueil, afin de leur offrir un environnement plus stable et protecteur. En plus des collectes de dons et des événements caritatifs, l’association envisage la mise en place d’un programme d’études rapide visant à permettre aux enfants d’acquérir des compétences dans les domaines de leur choix, facilitant ainsi leur insertion professionnelle.

Depuis sa création en janvier 2023, l’association a déjà apporté son soutien à une cinquantaine d’enfants démunis.

En rappel, en 2016, l’État burkinabè avait tenté de faire recenser et réinsérer les talibés. Cette action a permis le retrait de plus de la moitié de ces personnes de la rue. Dans la poursuite de l’action gouvernementale, Nandy Somé/Diallo a procédé au lancement de l’opération de retrait et de réinsertion socioéconomique des femmes, enfants et jeunes déplacées internes et autres personnes vulnérables en situation de mendicité dans la ville de Ouagadougou, le 5 mars 2023.

Partager sur: