Burkina Faso : vulgarisation imminente du niébé Bt après plus d’une décennie d’expérimentation
Au Burkina Faso, le niébé, également connu sous le nom de haricot ou « Benga », est une légumineuse de grande importance pour l’agriculture locale, jouant un rôle crucial dans la sécurité alimentaire et les revenus des producteurs. Cependant, depuis des années, cette culture fait face à une menace redoutable : Maruca vitrata, une chenille destructrice qui attaque les fleurs, feuilles et gousses du niébé, causant des pertes pouvant aller jusqu’à 80 % des récoltes (INERA). Face à cette menace persistante, les producteurs se sont retrouvés dans une lutte quasi-permanente, utilisant des pesticides souvent coûteux et inefficaces à long terme. En réponse à ce fléau, l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso (INERA) a lancé, dès 2011, un projet ambitieux visant à développer une variété génétiquement modifiée de niébé, le Niébé Bacillus thuringiensis (Bt). Conçu pour résister à Maruca vitrata, le niébé Bt est le fruit d’années de recherche, ayant pour objectif de protéger les cultures sans recourir à des pesticides nocifs et onéreux. Après plus de dix ans d’expérimentations, ce projet arrive à sa phase finale, pouvant ouvrir la voie à une diffusion massive de cette variété résistante dès 2025, selon les responsables du projet.
Sur le terrain avec des producteurs confrontés à Maruca vitrata
À Nambé, un village situé à environ 25 km de Ouagadougou, dans la commune rurale de Koubri, les agriculteurs vivent quotidiennement les conséquences dévastatrices de Maruca vitrata. André Nikiéma, cultivateur de 60 ans, travaille un champ d’un hectare pour nourrir sa famille. Il raconte cette difficulté majeure devenue plus ou moins traditionnelle. « Lorsque mon niébé commence à fleurir, les chenilles attaquent immédiatement. Je dois utiliser des pesticides, mais ces produits, souvent destinés à d’autres cultures comme le coton, sont coûteux et parfois inefficaces », explique-t-il. Face à ces tourments infligés par la chenille destructrice, M. Nikiéma exprime son espoir de voir arriver sur le marché des semences améliorées. « Si des semences plus efficaces sont disponibles, je suis prêt à les adopter. Elles seraient plus rentables et surtout plus faciles à gérer », dit-il.
Un peu plus loin, à quelques pas du champ d’André Nikiéma, le visage suant, en pleine journée de travail, Bernadette Tondé, mère de trois enfants et productrice de niébé depuis cinq ans, fait également cas de ses difficultés. « Chaque année, je perds une grande partie de ma récolte à cause des ravageurs. Je peux perdre jusqu’à 60 kg de niébé », déclare-t-elle. Pour elle, l’arrivée d’une variété résistante représente un immense soulagement. « Si le niébé Bt peut m’aider à sauver ma récolte, je n’hésiterai pas une seule seconde », affirme Bernadette Tondé.
Le même constat est dressé par Jean Tapsoba, cultivateur résidant dans le quartier Gounghin de Koubri. Cette année, la croissance de ses semis a pris du retard, non seulement à cause de Maruca vitrata, mais aussi en raison de l’irrégularité des précipitations. « Mes semences ont mis du temps à germer à cause du retard des pluies », explique-t-il, observant avec inquiétude ses plants de niébé déjà infestés par des aphides. « Vous voyez, si je ne pulvérise pas de pesticides, les plants ne poussent pas. C’est là ma principale difficulté. J’ai déjà pulvérisé une fois, mais je devrais recommencer, sinon les chenilles risquent de détruire ma récolte », déclare-t-il d’un air inquiet. Comme ses voisins, Jean est favorable à l’adoption du niébé résistant à la foreuse des gousses : « Si cela peut protéger mes cultures contre ces ravageurs, je suis prêt à essayer. »
Le même son de cloche résonne à Mogtedo, un village situé à 5 km du centre de Koubri. Blaise Zoundi, enseignant à la retraite, fait face aux mêmes réalités. Assis devant sa cour, il surveille son champ, récemment sarclé. En raison des pertes provoquées par la chenille, Blaise a planté une petite quantité de niébé, par crainte de voir sa récolte anéantie. Toutefois, il compense ces pertes avec le rendement de ses autres cultures. « La culture du niébé est devenue très difficile à cause de la chenille et des autres insectes. C’est aussi très coûteux », confie-t-il. Bien qu’il subisse les ravages de la foreuse des gousses, Blaise reste réticent à l’utilisation des pesticides, qu’il juge souvent nocifs pour la santé. « Si des semences améliorées pouvaient être accessibles à moindre coût, je ne serais pas contre. C’est vrai qu’il existe des préjugés à ce sujet, mais il faut essayer pour se faire une opinion », admet-il en évoquant la possibilité de cultiver du niébé génétiquement modifié.
Ces témoignages de producteurs burkinabè soulignent l’urgence d’apporter une solution durable à ces pertes agricoles massives, et le niébé Bt semble être la solution tant attendue.
Une avancée biotechnologique prometteuse
Le niébé Bt a été développé grâce à une technique de modification génétique appelée transgénèse, consistant à introduire dans la plante des gènes capables de produire des protéines insecticides naturelles, en l’occurrence Cry1Ab et Cry2Ab. Ces protéines permettent à la plante de produire elle-même un insecticide contre la Maruca vitrata, tout en étant sans danger pour les autres insectes, les animaux et les humains. Cette innovation permet de protéger efficacement la culture tout en réduisant l’usage de pesticides, souvent toxiques pour la santé et l’environnement.
Hamadou Zongo, chef de service scientifique et technique au centre de recherche environnementale agricole et de formation de Kamboinsin (CREAF/KBSE) est membre de l’équipe chargée de conduire les travaux de l’instauration du niébé Bt au Burkina Faso. Selon lui, deux variétés de niébé Bt sont actuellement en évaluation, à savoir les variétés IT97KT et NAFI T, avec des rendements compris entre 1,5 et 2 tonnes par hectare, des résultats largement supérieurs à ceux obtenus avec les variétés traditionnelles.
M. Zongo explique que le niébé Bt présente les mêmes caractéristiques agronomiques que le niébé conventionnel, mais avec l’avantage supplémentaire d’une résistance accrue aux ravageurs. Selon lui, cette variété, déjà en vulgarisation au Ghana et au Nigeria, pourrait améliorer les rendements de plus de 20 %, réduisant ainsi les pertes et augmentant les revenus des producteurs burkinabè.
Une solution au défi de la sécurité alimentaire au Burkina Faso
La vulgarisation du niébé résistant à Maruca ne représente pas seulement un soulagement pour les producteurs de niébé ; elle pourrait également jouer un rôle clé dans l’amélioration de la sécurité alimentaire du Burkina Faso. Le pays, comme beaucoup d’autres en Afrique de l’Ouest, fait face à des défis croissants en matière de production agricole, dus aux aléas climatiques, aux ravageurs et aux pratiques agricoles non durables. Dans ce contexte, l’introduction d’une culture plus résistante et plus productive est perçue comme une avancée majeure pour atteindre les objectifs de sécurité alimentaire.
Selon les responsables du projet, si le niébé Bt est vulgarisé à grande échelle, il pourrait contribuer à stabiliser les revenus des producteurs tout en répondant aux besoins alimentaires croissants. L’impact potentiel de cette innovation va au-delà des gains économiques, puisqu’elle réduit également les risques sanitaires associés à l’usage intensif de pesticides, tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs.
Processus réglementaire et perspectives
Le processus d’introduction du niébé résistant à la foreuse des gousses suit un cadre réglementaire strict. Actuellement, une consultation du public, orchestrée par l’Agence Nationale de Biosécurité (ANB), est en cours d’élaboration pour évaluer les retours de la société civile sur cette nouvelle technologie. Cette consultation est une étape clé avant l’inscription des variétés de niébé Bt dans le catalogue national des semences, dernière formalité avant leur diffusion auprès des producteurs.
Durant les treize années d’expérimentation, plusieurs études ont été menées pour évaluer l’impact du niébé Bt sur la santé humaine, animale et sur l’environnement. Les résultats de ces études ont été jugés rassurants par les chercheurs. En dehors de Maruca vitrata, aucun autre insecte n’a été affecté par la protéine Bt, et aucune incidence néfaste sur la santé humaine ou animale n’a été constatée.
Hamadou Zongo reste optimiste quant à l’avenir de cette innovation agricole. « Nous sommes très avancés. Après la consultation du public, il ne restera plus qu’à inscrire les variétés dans le catalogue national si l’agence de régulation nous y autorise. Nous espérons que tout sera prêt pour une diffusion auprès des producteurs d’ici 2025 », déclare-t-il.
Un tournant décisif pour l’agriculture burkinabè
Après plus d’une décennie de recherche, d’expérimentation et de développement, le projet de niébé Bt s’apprête à transformer le paysage agricole du Burkina Faso. En offrant une solution efficace et durable contre la foreuse de gousses Maruca vitrata, cette innovation permet d’envisager un avenir meilleur pour les agriculteurs burkinabè. En outre, cette variété transgénique pourrait renforcer la résilience des systèmes alimentaires nationaux et contribuer à réduire la dépendance aux importations alimentaires.
Si le niébé résistant à la foreuse des gousses obtient l’approbation finale des autorités compétentes, il sera un véritable levier de croissance pour l’agriculture du pays, permettant d’améliorer les conditions de vie de milliers de producteurs tout en répondant aux enjeux de durabilité et de sécurité alimentaire. Comme l’a exprimé Blaise Zoundi, un producteur sceptique au départ mais aujourd’hui convaincu : « Si ces semences peuvent réellement protéger nos cultures et réduire les coûts, je suis prêt à les essayer. »
Le projet est coordonné par Dr Benoît Joseph Batieno et son équipe de chercheurs, regroupant plusieurs experts en biotechnologie. Leur travail représente un modèle de collaboration entre recherche scientifique, innovation technologique et développement agricole, avec pour objectif ultime de rendre cette variété de niébé accessible et bénéfique pour tous les producteurs burkinabè.
Carine Pierrette Zongo
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