Musique : L’identité culturelle est l’âme d’un artiste (Youssef Ouédraogo, Coordonnateur général des FAMA)

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Youssef Ouédraogo, Coordonnateur général des Faso Music Awards (FAMA)

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Dans le paysage musical burkinabè où les rythmes traditionnels se mêlent aux influences modernes, se pose une question cruciale pour les artistes : comment tirer parti de leur identité culturelle pour se démarquer et briller sur la scène nationale et internationale ? C’est à cette question que nous avons tenter de répondre dans cette interview avec le journaliste culturel Youssef Ouédraogo, Coordonnateur général des Faso Music Awards (FAMA).

Filinfos : Comment les artistes burkinabè peuvent-ils tirer parti de leur identité culturelle ou se démarquer ?

Youssef Ouédraogo : La musique est d’abord universelle. Mais l’universalité de la musique ne devrait pas faire perdre à notre musique sa particularité. Lorsqu’on parle de l’universalité de la musique, ce sont les notes. Ce sont les mêmes notes qu’on retrouve ici, ce sont les mêmes notes qu’on retrouve aux Etats-Unis. Mais chaque peuple donne une âme à sa musique. Chaque peuple donne une identité à sa musique. C’est pourquoi nos artistes, même s’il faut véritablement tenir compte aussi des consommateurs d’ailleurs, il faudrait que les artistes tirent leur inspiration de leur patrimoine culturel. C’est très important. Parce que la musique burkinabè devrait avoir une identité d’abord africaine et ensuite burkinabè. Donc un Burkinabè ne pourra jamais faire la musique commune un  Américain. Un Burkinabè ne pourra jamais faire la musique commune un Français. Mais les notes sont les mêmes.

Filinfos : Comment adapter sa musique aux standards internationaux sans pour autant la dénaturer ?

Youssef Ouédraogo : C’est à chacun d’apporter une plus-value en termes de sa culture. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a des standards qu’il faut forcément respecter lorsqu’on veut toucher l’international. Alors que c’est archi faux. Vous avez des artistes qui font de la musique traditionnelle qui ont touché l’international. Vous avez des artistes qui sont restés eux-mêmes, qui ont fait de la musique de recherche qui ont touché l’international. Il y en a plein, on peut en citer à foison. Donc ce n’est pas forcément en moulant sa musique dans les standards internationaux qu’on peut avoir un succès au plan international. Non, on peut rester tel et puis avoir un succès international. Les artistes nigérians, ils ont essayé quand même d’adapter leur musique à un public occidental sans dénaturer à 100% leur musique.

Nos artistes doivent faire un peu d’effort pour éviter un peu les plagiats, il faut que notre musique puisse avoir une identité, une âme. Et le fait de vouloir aller à l’international ne devrait pas les dédouaner, le fait qu’il faille tirer quand même sa musique de son tiroir. Parce que beaucoup pensent qu’aller forcément à l’international, c’est faire comme les autres. Non, on ne peut pas faire comme les autres. En fait, il y a des genres, on peut importer des genres et avoir une particularité. Si vous prenez le hip-hop par exemple ou le rap, ce n’est pas créé au Burkina Faso, mais il y a des artistes qui font le hip-hop et ils mettent un contenu burkinabè. C’est l’exemple de Kayawoto et bien d’autres.

Filinfos : faut-il être un artiste du monde, ou il faut être un artiste africain ?

Youssef Ouédraogo : Un artiste du monde, c’est un citoyen du monde qui fait de la musique pour toutes les oreilles. Donc beaucoup d’artistes se posent la question, est-ce qu’il faut véritablement laisser tomber la musique africaine, et puis faire un peu la musique dite universelle, la world music, etc. Beaucoup ont essayé de le faire, et après ils se sont perdus, parce que non seulement ils n’ont pas pu conquérir le monde occidental, et ils ont perdu aussi la place qu’ils avaient en Afrique.

Vous voyez un peu. Donc vous avez par exemple des penseurs ou des spécialistes qui estiment que l’avenir du monde, c’est l’Afrique, et que si vous remarquez même toutes les grosses firmes au niveau de l’industrie musicale, Universal Music Group, Sony Music, Warner Music Group et EMI, etc, sont en train de se déporter sur le continent. Donc ce qui veut dire qu’aujourd’hui, il y a la nécessité pour nos artistes africains de comprendre qu’il ne faut pas forcément diluer, voire galvauder sa musique au profit d’un public occidental, parce que l’Afrique fait plus de 1 milliard d’habitants, c’est un grand marché de consommation. Donc il faut trouver le juste milieu pour que votre musique puisse aussi bien intéresser le monde occidental. C’est un gros défi pour les artistes africains qui parfois se perdent en terme démarche, en terme d’orientation artistique. Donc en gros c’est le défi d’adaptation.

Filinfos : Quelles sont les principaux défis auxquels les artistes font face dans la promotion de leur musique sur la scène internationale ?

Youssef Ouédraogo : Il y a beaucoup de défis. Ce que nous trouvons que c’est bien ici, ce n’est pas forcément ce que les européens trouvent que c’est bien, ce n’est pas forcément ce que les Américains trouvent que c’est bien. Donc il y a d’abord ça.

Le deuxième défi que les artistes africains s’adressent à une forte diaspora africaine qui est multiple, c’est-à-dire qui ne vient pas forcément d’un même pays. Donc lorsque vous faites de la musique africaine et que vous voulez toucher la diaspora peut-être africaine en Europe, évidemment il faut que vous arriviez à trouver une musique de fusion, une musique qui peut toucher aussi bien l’Ivoirien, le Sénégalais, le Burkinabè, le Malien et autres. C’est un défi, il faut trouver une musique qui crée des liens avec toutes ces nationalités.

Le troisième défi c’est le fait qu’il y a un véritable décalage entre l’Afrique et l’autre côté du monde. Entre l’Afrique et le Nord, parce qu’ils n’ont pas forcément les mêmes habitudes de consommation, ils n’ont pas forcément la même approche ou perception par rapport à la musique, et donc du coup c’est un défi qu’il faut surmonter. Alors si vous prenez par exemple un groupe comme Magic System, vous regardez un peu le zouglou que Magic System faisait en Côte d’Ivoire, et une fois arrivé en France, il a fallu s’adapter, donc j’allais dire au contexte français, vous regardez un peu les différents types de musiques, vous avez l’impression qu’ils ont pratiquement abandonné le zouglou originel pour faire une autre musique, mais quand vous regardez, le fond reste. Donc il y a une adaptation, forcément au goût d’un autre public qui n’est pas un public forcément africain.

Beaucoup d’artistes n’ont pas réussi à relever ce défi. Ils demeurent toujours des artistes africains, même quand ils vont en Europe c’est la communauté africaine qui les écoute, mais ils n’arrivent pas à toucher l’autre public occidental, parce qu’ils ne s’adaptent pas à leur habitude de consommation.

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