Burkina : la vallée du Kou entre crise de l’eau et efforts de réhabilitation pour sauver l’agriculture
À 25 kilomètres de Bobo-Dioulasso, la plaine de Bama ou vallée du Kou se dresse comme un pilier économique vital pour la région des Hauts-Bassins et pour le Burkina Faso. Ce périmètre irrigué, situé dans la commune de Bama et vieux de plus de 50 ans, contribue de manière significative à la sécurité alimentaire nationale, notamment à travers la riziculture. Cependant, des défis croissants tels que l’ensablement, la pollution, la mauvaise gestion des ressources en eau et les effets du changement climatique compromettent son rôle central. En 2020, une étude diagnostique de l’état des lieux du bassin du Kou a révélé que la rivière pourrait disparaître « dans 25 à 30 ans si rien n’est fait ». Alors que des solutions émergent timidement, la gestion des ressources en eau demeure un enjeu crucial pour les agriculteurs, les décideurs politiques et les communautés locales. Filinfos a fait l’état des lieux de la crise de gestion de l’eau dans la Vallée du Kou à Bama.
Depuis l’année 1966, la Vallée du Kou a été le théâtre d’un développement significatif de l’irrigation grâce à son réseau hydraulique. Elle s’étend sur une superficie de 97 100 ha dont 1 260 ha ont été aménagés en 1966 grâce à une dérivation des eaux de la rivière Kou, un affluent régulier du Mouhoun, dont le débit varie entre 3,5 et 15 m³/s (Rapport annuel GEau, 2001) au cours de l’année. La rivière Kou, affluent du fleuve Mouhoun, est la principale source d’eau pour l’irrigation dans cette vallée. Les agriculteurs, qu’ils soient grands exploitants ou petits producteurs, dépendent de cette rivière pour leurs cultures. Cependant, l’ensablement progressif et les brèches dans le lit de la rivière menacent de réduire l’approvisionnement en eau, un problème exacerbé par les pratiques agricoles intensives des grands exploitants.
Grands exploitants : accès privilégié à l’eau
Le périmètre irrigué de la plaine de Bama est marqué par une coexistence entre des grands exploitants équipés de technologies comme les motopompes et de petits agriculteurs qui dépendent de puits ou de systèmes d’irrigation plus rudimentaires. Salif Dierma, 29 ans, exploite l’eau de la rivière Kou pour le maraîchage depuis 10 ans. Dans son champ de quatre hectares, il produit du chou, du niébé, du maïs, du poivre, des courges et parfois de la patate douce. Pour irriguer son champ, il utilise une motopompe. « Avec la motopompe, nous utilisons un système de raccord et de gaz que nous connectons à la machine pour faire monter la pression de l’eau, ce qui permet d’avoir accès à une certaine quantité d’eau », a expliqué Salif Dierma. « J’ai déjà eu des problèmes avec d’autres producteurs à cause des tuyauteries d’irrigation. Par exemple, si une personne prend ton tuyau pour irriguer son champ alors que le propriétaire (ndlr Salif) est dans le même besoin, cela provoque des disputes », a raconté le jeune producteur sur la coexistence avec ses pairs.
A côté du champ de Salif, se dresse celui de Ousmane Barry, cultivateur de 62 ans, qui exploite environ 3 hectares de terre. Dans son champ, il cultive des haricots, des choux et des bananes, mais l’accès limité à l’eau, notamment pendant la saison sèche, affecte son revenu. Tout comme son voisin, il utilise le système de tuyauterie pour irriguer son champ. Une technique efficace car elle lui permet de maximiser le rendement de ces récoltes.
Si certains exploitants ont la possibilité d’acquérir des méthodes plus avancées pour avoir de l’eau, ce n’est pas le cas de Mariam Sontie. Elle fait face depuis plusieurs années à des difficultés d’accès à l’eau. Propriétaire d’un champ de riz et de maïs, la rentabilité de son activité a pris un coup à cause du problème lié à l’eau. Parfois, des tensions surgissent entre elle et des gros exploitants. « Il arrive que des disputes éclatent entre les utilisateurs de motopompe et nous. Parfois, nous faisons recours à l’autorité chargée de la gestion de l’eau pour nous départager », déplore-t-elle.
Outre la pression des agrobusinessmen, le changement climatique a un impact majeur dans la raréfaction des ressources en eau. Les précipitations deviennent plus erratiques, avec des périodes de sécheresse prolongée et des inondations soudaines. En effet, les précipitations interannuelles enregistrées entre 1970 et 2020 révèlent des niveaux moyens de 882 mm d’eau au poste pluviométrique de la vallée du Kou. La répartition de la pluviométrie moyenne mensuelle au cours de l’année est marquée par une forte variabilité. La période allant de juin à septembre est la plus pluvieuse, avec des quantités moyennes supérieures à 100 mm. Le mois d’août enregistre les précipitations les plus importantes, atteignant en moyenne 200 mm à la station synoptique et au poste pluviométrique. Ces données sont contenues dans le rapport final du projet de mise en œuvre d’un système d’allocation de l’eau au niveau de la plaine de Bama (page 38), réalisé par l’agence de l’eau du Mouhoun.
En ce qui concerne l’évapotranspiration (quantité totale d’eau qui s’évapore du sol et des surfaces libres d’eau, combinée à l’eau perdue par la transpiration des plantes, vers l’atmosphère), les données collectées entre 1970 et 2020 dans les différentes stations de la zone d’étude indiquent des valeurs maximales de 2 201,6 mm à la station de Bobo-Dioulasso. L’analyse des moyennes annuelles met en évidence une hausse significative de l’évapotranspiration dans cette région. Cette augmentation de l’évapotranspiration dans la vallée du Kou réduit considérablement les ressources en eau disponibles, affectant l’irrigation et diminuant les rendements agricoles. Cette perte d’eau accentue les tensions entre les exploitants situés en amont et en aval, qui se disputent un accès limité à cette ressource vitale. Par ailleurs, l’augmentation de l’évapotranspiration, liée au changement climatique, aggrave ces défis en amplifiant les pertes hydriques, rendant indispensable une gestion durable de l’eau pour préserver l’équilibre écologique et économique de la région.
“L’eau devient de plus en plus rare, et malgré nos efforts pour l’irrigation, la situation est difficile. Le problème vient de ceux qui ont de grosses installations et qui pompent énormément d’eau,” explique Djerma Salif, un exploitant agricole dans la vallée du Kou. Djerma cultive des légumes sur un hectare de terrain, mais l’approvisionnement en eau est de plus en plus aléatoire, ce qui compromet ses rendements. “Même avec notre système de raccords, la pression de l’eau reste insuffisante,” ajoute-t-il.
Impact économique
L’agriculture irriguée, qui représente 25,1 % du PIB régional, dépend fortement des eaux du Kou pour les cinq grandes zones agricoles irriguées de la région, dont le périmètre rizicole de Bama. Cependant, la concurrence pour l’eau entre les exploitants légitimes et les utilisateurs informels du canal d’amenée affecte la productivité agricole. Les conflits récurrents pour l’accès à l’eau, aggravés par des descentes punitives et des revendications opposées, perturbent les activités agricoles et fragilisent la cohésion sociale.
L’augmentation de l’évapotranspiration, dépassant 2200 mm par an selon l’étude menée par l’Agence de l’eau du Mouhoun, entraîne une diminution des ressources hydriques disponibles pour l’irrigation. Cette perte d’eau amplifie les défis pour les agriculteurs, réduisant les rendements et menaçant la sécurité alimentaire dans la région. « Cette activité me permet de nourrir ma famille, de scolariser mes enfants, et de gérer mes soins médicaux en cas de maladies. Nous tirons tous de nos activités champêtres. Mais avec le problème d’eau, je ne peux pas exploiter toute la superficie de mon champ ; ce qui réduit ma capacité de production et également mon rendement », souligne Ousmane Barry.
Initiatives du gouvernement pour sauver la plaine de Bama
Face à la dégradation de la rivière Kou et aux défis agricoles dans la plaine de Bama, le gouvernement burkinabè a mis en place plusieurs initiatives pour restaurer et préserver cette zone stratégique pour la sécurité alimentaire.
En avril 2024, le ministre chargé de l’Eau, Roger Barro, a lancé les travaux de reprofilage de la rivière Kou sous la supervision de l’Agence de l’Eau du Mouhoun (AEM). Financé par l’Agence danoise de développement (DANIDA) à hauteur de 800 millions de francs CFA, ce projet comprend principalement le curage et la stabilisation des berges sur une distance discontinue de 2,3 km. Ces travaux visent à améliorer la gestion des eaux et à augmenter la productivité agricole, en assurant une meilleure disponibilité de l’eau pour les populations locales. En complément de cette réhabilitation, des forages maraîchers, des aménagements agricoles, ainsi qu’un reboisement compensatoire avec des plants utilitaires seront réalisés. Les travaux, qui se dérouleront sur une période de trois mois hors saison des pluies, devraient également permettre de protéger les infrastructures locales et de réduire les risques d’inondations dans la région.
En parallèle, en 2023, le Comité de Bassin de l’AEM a octroyé 470,9 millions de francs CFA pour financer 14 projets locaux. Ce financement provient des ressources de DANIDA (435,3 millions CFA) et de la Contribution forfaitaire eau (CFE, 35,7 millions CFA). Ces projets visent principalement à réhabiliter des terres agricoles et à mettre en place des infrastructures adaptées, tout en soutenant des initiatives communautaires mises en œuvre par l’Association jeunesse et entrepreneuriat (AJE) dans la zone de Bama. Ces efforts s’inscrivent dans une démarche de soutien au développement durable et de gestion des ressources en eau.
Le gouvernement a également lancé le Programme de Résilience et de Sécurité Alimentaire au Burkina Faso (PRSA-BF), doté d’un budget de 72 milliards de francs CFA. Ce programme, qui s’étend sur cinq ans, vise à accompagner 100 000 ménages et toucher 650 000 personnes. Parmi ses objectifs figurent l’introduction de six nouvelles technologies agricoles et la réhabilitation de 26 000 hectares de terres agricoles, incluant le bas-fond agricole de Bama. Cette initiative est un levier clé pour renforcer la résilience des populations agricoles et promouvoir une agriculture plus durable dans la région.
Ces différentes initiatives témoignent de l’engagement du gouvernement burkinabè à restaurer la plaine de Bama, améliorer la gestion des ressources en eau et soutenir les populations agricoles. Toutefois, la réussite de ces projets dépendra de leur suivi rigoureux, de la collaboration entre les acteurs locaux et du respect des engagements pris pour un développement durable et inclusif.
Carine Pierrette Zongo
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