Environnement : « nous consommons actuellement la nourriture des générations futures », Bélélé William Bationo

Bélélé William Bationo, spécialiste en changement climatique et développement durable

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Selon un rapport du Global Footprint Network, le 1er août 2024 a marqué le « Jour du Dépassement de la Terre ». À partir de cette date, l’humanité a consommé plus de ressources que la Terre ne peut régénérer en une année. Pour comprendre les répercussions de ce phénomène sur notre environnement, et plus particulièrement sur le Burkina Faso, nous avons rencontré Bélélé William Bationo, spécialiste en changement climatique et développement durable. Dans cet entretien, il nous éclaire sur les causes de ce dépassement, ses impacts potentiels sur le Burkina Faso, et les actions nécessaires pour faire face à ces défis globaux.

Selon le Global Footprint Network, la Terre vit à crédit depuis le jeudi 1er août 2024. Que doit-on comprendre par-là ?

Du 1er janvier 2024 au 1er août 2024, l’ensemble des habitants de la terre a consommé tout ce que la planète peut régénérer en une année. Ce qui veut dire que du 1er août au 1er décembre, tout ce que nous consommons est peut-être ce qui aurait pu être régénéré en 2025. Nous consommons actuellement des choses à crédit. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, il y a chaque année des jours de dépassement. Les populations consomment l’ensemble des ressources que la terre peut régénérer en une année plusieurs fois, ce qui veut dire qu’on consomme ce qui appartient aux générations futures et au-delà de ça, nous ne leur permettons pas de retrouver un environnement équilibré, de retrouver des ressources diversifiées avec la biodiversité. Avec ses dépassements, nous consommons la nourriture des générations futures.

Aperçu des dates du jour du dépassement de la terre des années antérieures

Quels sont les facteurs humains et naturels qui ont conduit à ce dépassement ?

On peut parler plus de facteurs humains. Il y a la surconsommation des ressources naturelles. La demande en ressources en eau, en bois, en nourriture et en énergie dépassent largement les capacités de régénération de la terre. Cela est dû également à une augmentation de la consommation par personne surtout dans les pays industrialisés comme l’Europe, les Etats-Unis, avec l’augmentation de la population mondiale. Cela est également dû au capitalisme à la surproduction. A cela s’ajoute la déforestation pour le bois, l’agriculture et l’urbanisation qui réduit la capacité de la terre à absorber le dioxyde de carbone, augmentant ainsi la perte écologique. C’est-à-dire que la quantité de bois consommé par an n’est pas en mesure d’être régénérée à temps. La perte de la biodiversité, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation massive des énergies fossiles comme le pétrole, le charbon et le gaz naturel, la surexploitation des océans, l’urbanisation non durable, contribuent au changement climatique.

Pour les facteurs naturels on peut parler de la capacité de régénération limitée de la terre à régénérer les ressources chaque année. Ces capacités peuvent être affectées par des facteurs naturels tels que les cycles climatiques, les variations saisonnières et la résilience des écosystèmes. Mais les facteurs humains sont plus importants que les facteurs naturels.

Quels impacts ce dépassement aura-t-il sur la planète et particulièrement pour le Burkina Faso ? Comment cela peut-il se manifester ?

Ce concept de dépassement de la terre, a des implications importantes pour tous les pays de la planète et bien-sûr ceux en développement comme le Burkina Faso. Les impacts de ce phénomène planétaire sur le Burkina Faso vont se manifester de différentes manières, principalement à travers des défis écologiques, économiques et sociaux. Naturellement l’impact environnemental va se ressentir sur la dégradation des terres, les canicules, les fortes pluies et les inondations.

Au niveau économique, le Burkina dépend fortement de l’agriculture qui est vulnérable aux aléas climatiques, donc la dégradation de l’environnement et ses impacts vont réduire le rendement agricole, entraînant une baisse de revenus pour les agriculteurs et une augmentation de la pauvreté rurale. Cela peut accroître la dépendance du pays aux importations alimentaires augmentant la pression sur l’économie nationale. Il y a également la concurrence des ressources à mesure que les ressources mondiales se raréfient, les pays en développement, les pays faibles comme le Burkina pourrait être confronté à une concurrence accrue pour l’accès aux ressources vitales tel que l’eau, la terre agricole.

Sur le plan social, il y a la sécurité alimentaire qui sera impactée, la réduction de la production agricole entraîne naturellement une augmentation de l’insécurité. Cela pourrait aggraver les inégalités sociales et économiques et aurait des conséquences graves pour les populations les plus vulnérables, notamment les femmes et les enfants. Il y aura aussi ce qu’on appelle la migration climatique car de plus en plus les conditions de vie difficiles causées par la dégradation de l’environnement et le changement climatique vont forcer certaines populations à migrer autant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. On aura également les conflits qui existent déjà comme le terrorisme et l’extrémisme violent dans des zones comme le Sahel qui ont également pour sources la raréfaction des ressources. Cette rareté des ressources naturelles va exacerber les impacts de dépassement écologique global et peut entraîner des conflits locaux notamment autour de l’accès d’eau, aux terres agricoles et au pâturage. Ces tensions peuvent déstabiliser davantage des régions déjà fragiles comme le Sahel. Le concept du jour de dépassement qui n’est pas nouveau à des conséquences très profondes dans des zones comme le Sahel et principalement pour un pays comme le Burkina Faso.

Cette année le Burkina Faso a connu une hausse de température. En se référant à ce rapport, doit-on craindre le pire pour les années à venir ?

Oui, il faut craindre le pire pas seulement le Burkina Faso mais pour la planète. Comme on le constate déjà avec la crise que nous connaissons, elle a des racines, des bases en rapport avec cette raréfaction des ressources qui est liée bien sûr à des concepts comme le jour du dépassement. Il faut craindre le pire pour tout le monde. Si la situation continue ainsi l’impact global sur nos populations, sur notre pays va être grandissant et nous ferons face à d’énormes problèmes sociaux économiques et environnementaux.

Comment peut-on renverser la tendance ?

Il existe des opportunités pour le Burkina Faso d’adapter et de renforcer sa résilience, parce que nous avons quand même un pays encore vaste et peu peuplé, en termes de densité comme dans certaines régions du monde. Ce qu’il faut faire pour commencer déjà étant donné que nous sommes un pays agricole, il faut promouvoir des pratiques agricoles durables qui permettent l’agro foresterie et la gestion intégrée des ressources en eau, l’utilisation de variété de culture résistante à la sécheresse, qui peuvent aider à atténuer les effets de la dégradation de la terre et du changement climatique. Autres alternatives, il faut que nous investissions dans les énergies renouvelables comme le solaire qui peut réduire la dépendance aux combustibles fossiles tout en offrant des solutions énergétiques adaptées aux conditions locales. Et ces solutions adaptées peuvent prendre en compte tout ce qu’il y a comme possibilités dans chaque région du Burkina avec la spécificité de chaque région pour pouvoir adapter les régions aux solutions énergétiques que nous allons proposer.
Il y a également le renforcement de la résilience communautaire et pour cela, il faut qu’il y ait des initiatives qui visent à renforcer la résilience de ces communautés à travers l’éducation, il faut que les gens comprennent l’importance aujourd’hui de trouver des mécanismes pour faire face à ce changement climatique. Il faut que les gens sachent également de quoi il s’agit, comment ces populations peuvent se réinventer et proposer des solutions. Il faut également à travers cela la diversification des revenus et la gestion durable des ressources naturelles. Il faut permettre à toutes les couches de la population de travailler en fonction des différents profils et aussi permettre une gestion durable des ressources naturelles au niveau local. Nous avons un boom minier depuis quelques années qui existe au Burkina Faso mais pour lequel on pourrait se poser des questions sur la gestion des ressources liés à ce boom minier, si cette gestion est durable, si elle prend réellement en compte les communautés locales. Ce sont des aspects qui doivent être pris en compte pour faire face à ces défis.

Quels conseils avez-vous pour les burkinabè pour une conduite plus responsable envers mère nature ?

Comme suggestions pour le Burkina Faso, on peut dire que le jour de dépassement de terre souligne l’urgence de développer des stratégies de développement durable qui tiennent compte des limites écologiques de la planète, des limites écologiques même que dans l’espace, de notre environnement de vie. Il faut inclure beaucoup de stratégie beaucoup de propositions et ces stratégies doivent inclure des politiques de gestion durable, des mesures d’adaptation au changement climatique et des initiatives pour réduire la pauvreté et renforcer la résilience des communauté locales face à tous ces défis environnementaux, sociaux et économiques qui vont aller de manière croissante pour les prochaines années.

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